Elle est bien mystérieuse cette Comtesse de Die, Trobairitz (féminin de trobador) méconnue comme le furent nombre de femmes créatrices dans l'histoire, mais non moins présentes et il nous reste surtout ce superbe chant de Béatriz de Dia ; "A chantar m’er de so qu’eu no volria" qui est la seule canso d’une Femme Troubadour à nous être parvenue, avec sa musique intacte.
Le temps des troubadours fut bref et fulgurant, du 12 ème (fin 11 ème) au 13 ème siècle, mais malgré cette brièveté, qui n'a pas entendu parler de cette "société courtoise" qui a tant chanté l'amour, le "fin'amor" et autres épopées en langue romane dans les plus grandes cours d'Europe ? Ils seront "Trouvères" plus tardivement pour le Nord, directement inspirés par les Troubadours du Sud, définis par cette ligne de démarcation ultime qu'étaient les langues d'Oïl et d'Oc qui séparaient alors le pays. Qu'ils aient été de haut lignage, du clergé ou d'origine plus modeste, tous se retrouvaient sur un pied d'égalité dans leur créativité, qui en disait long sur l'éveil et le dynamisme artistique de cette société d'alors, portée par cette même passion d'exprimer l'art sentimental hissé à son plus haut niveau de poésie chantée.
L'Art du poème chanté en langue d'Oc..
Les Troubadours (environ 400 pour 2500 textes) ont donc traversé les temps telle une légende intemporelle par nombre de livres, de films, de noms et d'œuvres célèbres, mais aussi par cette influence certaine qu'ils ont eu sur la littérature et sur notre façon de considérer l'amour, alors même que sur une trentaine de trobairitz connues qui étaient à l'époque leurs égales dans cet Art, le nom de seulement vingt d’entre elles arrivaient jusqu'à nous. Les autres ayant sombré dans les oubliettes d'une histoire qui s'est réécrite en oubliant ses héroïnes et en effaçant promptement ce lyrisme féminin passionnel. Pourtant toutes créèrent avec esprit et grand Art : Béatriz de Dia, Comtesse De Die, mais aussi ; Na Castelhoza, Azalais de Porcairagues, Bieiris de Romans, Claire d'Anduze, Guillelma des Roziers, Gormonda de Monpeslier, Almuc de Castelnou, Marie de Ventadour, Iseut de Capion, toutes deux originaires du Gévaudan, Alaizina Iselda, Na Carensa, pour ne citer qu'Elles.
C'est sans doute grâce à leur condition sociale que ces Trobaïritz purent créer de telles œuvres en des temps où la condition de la Femme n'était guère propice à leurs Libertés et l'on peut prendre la mesure de Celles qui osèrent concevoir et interpréter ces chants, qui parleront librement de leurs amours.
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Dans la transmission habituelle d'une histoire volontiers violente, les "Cours d'amour" où se tenaient les seules joutes poétiques et autres "beaux mots", ne furent pas toujours assumées par les temps qui suivirent et qui se revendiquèrent de traditions plus brutales ; "les hauts rêves de l'esprit humain" n'étant plus les "hauts faits" dont il fallait se prévaloir.
Un moyen-âge éclairé par les chants des Troubadours, de véritables temps de grâce dans la Provence solaire d'alors qui se rêvait d'amour et de paix, même si l'enchantement finirait brisé en mille morceaux épars sous les interdictions du rigorisme moral et les violences qui déferleraient dans les siècles fort sombres qui suivirent. Ces "Grandes Dames" et ces "Grands Hommes" déjà par l'esprit, surent pourtant éclairer les obscurités de l'histoire et transmettre leur Art à d'autres cours et pays d'Europe, nous rappelant à quel point les influences éveillées peuvent transformer le monde.
"Chanter l'amour" est un Art complexe qui nécessite nombre de qualités et de dons, au travers d'un savoir qui s'affine et se développe avec le temps et l'expérience. Du "trobar lèu", au "trobar clus", si ce n'est le "trobar ric", tous ces styles exigent une habileté particulière et de longues heures de travail sur les mots, où l'allusion est bien souvent maîtresse et par une mélodie qui se doit d'être à l'avenant.
Nul ne sait vraiment quelle fut la source d'amour de la Belle Comtesse de Die et bien des légendes courent encore à ce sujet. Les écrits brefs et fort peu nombreux nous laissent seulement imaginer ce qui a pu être, mais aujourd'hui encore elle garde précieusement ses secrets. Ce que l'on sait, c'est que tous ces compositeurs et chanteurs du "bel amour" étaient souvent sur les routes, voyageant d'une Cour à une autre, se retrouvant pour créer, échanger leur art et se produire, eux ou leurs chants, dans ces grands événements des temps, que furent les mariages princiers et autres alliances.
Sans cesse ils se répondaient, se citaient au travers de leurs œuvres, maintenant une connexion "hors technologie" qui devrait nous laisser songeurs tant elle faisait preuve déjà, d'une véritable compétence à la communication et au partage.
Dans les poésies chantées des Troubadours, il faut bien faire la distinction entre l’amour chevaleresque qui considèrent la fidélité et la loyauté comme essentielles et les relations charnelles l’aboutissement, quand l’amour courtois est lui adultère et impossible ; la Dame étant d’un rang social plus élevé que son soupirant...
Des chants et des poèmes qui sous leur expression masculine ne sont pas toujours mièvres ou délicats mais parfois outranciers, faisant état de fantasmes et de désirs, de frustrations, mais aussi d'avertissements.
Que serait devenu le monde si la poésie avait su rallier les villes et les principautés du sud ? Nous ne le saurons jamais, tout comme ces expressions en ces temps-là, resteront sans nul doute les plus évoluées, libres et éclairées que notre histoire commune aura su faire éclore ; un véritable point de lumière dans l'obscurité du monde ; l'Art de la joute verbale causant tellement moins de ravages que tous les autres affrontements qui le précédèrent ou s'ensuivirent.
Aller plus loin :
Source image : Comtesse de Die - Chambradoc
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